Avec quoi on accompagne ?

Cet article est une réflexion toujours en cours sur les conditions et les limites de l’accompagnement. Elle émerge suite à un micro-événement de la vie du Kerfad, à savoir un accompagnement qui a été avorté avant d’avoir débuté. Ainsi l’article reprend quelques faits de ce non événement, non pas pour en penser quelque chose, se faire un avis dessus, mais pour penser avec, se faire un avis sur l’accompagnement armé de cette expérience.

Parmi la vingtaine de membres d’une association, trois formulent une demande d’accompagnement au Kerfad et prennent le temps de nous rencontrer. La rencontre, comme son nom l’indique, permet de mettre des visages sur les noms, de prendre confiance (ou pas) dans les personnes en présence. Celle-ci se passe bien, l’intérêt circule dans les deux sens, à l’issue de cette première entrevue le ressenti collectif est je crois qu’un accompagnement est possible. Reste à trouver les modalités les plus judicieuses. Le Kerfad s’y attèle et fait une proposition aussi concrète que possible afin qu’elle puisse être discutée entre les membres de l’association demandeuse. Lorsque l’association reprend contact avec le Kerfad, c’est pour nous informer que l’accompagnement ne pourra pas se faire, une personne de l’association s’y oppose. Soit. Le Kerfad n’a rien à redire à cela, et même si individuellement nous devons faire avec notre déception / frustration, trop d’éléments de la situation nous échappent pour que nous puissions agir dessus.

Pourtant, des questions tourbillonnent, nous cherchons à comprendre ce qui s’est passé, nous nous sentons vulnérables, dépossédés, quelque chose échappe manifestement à notre maîtrise. Avons-nous été jugés incompétents ? Y avait-t-il une méfiance préalable ? Est-ce le Kerfad qui pose problème ou les personnes qui sont venues en son nom ? L’abandon de l’accompagnement est-il motivé par la rencontre, la proposition faite par le Kerfad, ou est-il motivé par quelque chose d’antécédent ? Toutes ces questions et d’autres encore resteront évidemment sans réponse.

Il n’y a pas si longtemps de ça, le Kerfad était lui aussi accompagné, dans le cadre d’un DLA. Quels furent nos critères pour choisir un « consultant » plutôt qu’un autre ? Quels furent nos motifs de refus ? En somme, par quoi voulions nous être accompagnés, avec quoi voulions nous cheminer ? Il me semble que nous avons été sensibles aux méthodes proposées pour l’accompagnement, mais que ce ne fut pas l’élément déterminent. Sans chercher à se faire accompagner par des « camarades politiques » nous avons été vigilants à ce que la personne qui nous accompagne comprennent notre vision de la société et notre projet associatif, le sens de nos actions. Étonnamment, nous avons surtout été sensible à la personne : à ce qu’on préjugeait d’elle, à ce que son parcours nous racontait de ses compétences et de ses principes, a sa position relative vis-à-vis du Kerfad, proche mais bien distincte, extérieure. Et puis il y a toujours cette intuition, ce feeling, qu’on arrive pas expliquer.

Cette expérience d’accompagnement avorté m’oblige à accepter qu’en tant qu’accompagnant, on ne choisit pas complètement avec quoi on va accompagner. Bien sûr on fait des choix, méthodologiques, éthiques, politiques, pédagogiques et ceux-ci on l’avantage de pouvoir être discuté facilement. Mais on ne peut pas toujours choisir de laisser au vestiaire son histoire, ses liens, sa position dans la société ou sur un territoire. On pourra travailler le sens de l’accompagnement, l’engagement réciproque dans la relation accompagnant-accompagné, rester vigilant à ce qui se joue sur les plans affectif et symbolique. On pourra tenter d’amenuiser certains facteurs de gêne ou d’inconfiance, mais pas les supprimer totalement. Et aussi bien huilée que puisse être la mécanique d’un accompagnement, l’accompagnant n’a aucun pouvoir tant qu’il n’a pas été reconnu et accepté comme tel. Petit rappel d’humilité donc . Et peut-être aussi une invitation à considérer chaque expérience de vie, au Kerfad et à l’extérieur, comme une potentielle situation de pré-accompagnement ?

Article écrit par Yoann