S’éduquer à l’information accélérée

Bien que l’expression d’éducation aux médias et à l’information (EMI) se démocratise et que les initiatives s’en revendiquant se multiplient, les objectifs poursuivis sont très divers, voire divergents. A quels enjeux l’EMI est-elle censée répondre ? Défense des médias traditionnels ? Lutter contre la radicalisation et le complotisme ? Nous ne le croyons pas.

Tout comme le Collectif La Friche dans son Petit manuel critique d’éducation aux médias, nous pensons que l »éducation aux médias ne se résume pas à s’armer contre les fake news et autres théories du complot. Elle n’a pas non plus vocation à faire la morale sur les bonnes manières de s’informer (supposément la presse professionnelle). Nous pensons qu’elle doit s’intéresser à la fabrique de l’information, qu’elle ait lieu dans les médias traditionnels, dans des médias indépendants, alternatifs ou grâce aux réseaux sociaux et plateformes numériques. Nous pensons que l’éducation aux médias n’est pas réservée à une partie congrue de la population (telle que la « jeunesse ») mais qu’elle s’adresse à toute personne désireuse de s’orienter dans les systèmes de production et de diffusion de l’information.

« S’orienter », pour certains, ce sera comprendre en quoi l’information est un marché et un levier politique, pour d’autres ce sera interroger ses propres pratiques de l’information (en tant quand citoyen, journaliste, éducateur, youtubeur, lecteur, usager de Tik Tok, etc.). Pour d’autres encore, s’orienter dans le monde de l’information consistera à prendre voix, à prendre position pour une société souhaitée en devenant acteur de l’information.

A mesure que nous tâtonnons afin de relever le défi d’une EMI politique et émancipatrice, nous nous rendons compte que nous sommes nombreux à expérimenter dans ce champ. Nombreux aussi à être tiraillés entre, d’une part, la nécessité de favoriser l’appropriation des enjeux et des techniques de l’information et, d’autre part, des commandes publiques visant le renforcement de valeurs républicaines.

Au Kerfad, nous souhaitons plus particulièrement poser une question : comment continuer à penser par soi-même alors que l’info fuse en permanence ? Dans cette démarche, nous réalisons des cycles d’ateliers avec des lycéens rennais, tentant avec eux de démêler les circuits de l’information, de mettre en perspectives nos pratiques respectives. Nous partons du principe que les évolutions technologiques récentes (smartphones, applications, réseaux multiples) transforment les manières de s’informer, de diffuser et même de produire de l’information, que ces transformations creusent les différences de pratiques entre les générations. Mais avant d’être critique des pratiques de l’information, il nous semble indispensable de les qualifier. Ainsi, nous inventons des dispositifs permettant de prêter son regard à autrui, nous cherchons avec les participants des manières de caractériser leurs usages des réseaux et des médias, leurs curiosités, leurs techniques de l’information, et devons bien souvent nous soumettre au même exercice.

Inventer, expérimenter, ré-interroger, cela ne se fait pas seul. Aussi nous aspirons à rencontrer des acteurs de l’information ou de l’EMI. Maisons de quartier, radios locales, association de critique des médias, journal de lycée ou de village sont selon nous des démarches inspirantes et dont les rencontres permettraient la construction d’une EMI variée par ses approches et cohérente par ses vœux de transformation de la société.