Quels liens entre sciences et société – Rencontre avec des membres de l’INRAE

L’INRAE ou Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement est un établissement public à caractère scientifique et technologique. Il est sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation et du ministère de l’agriculture et de l’alimentation. Il a pour mission « de réaliser, d’organiser et de coordonner, à son initiative ou à la demande de l’État, tous travaux de recherche scientifique et technologique dans les domaines de l’agriculture, de l’alimentation, de la forêt, de l’environnement, de l’eau, de la biodiversité, de la bioéconomie, de l’économie circulaire, de la gestion durable des territoires et des risques dans les champs de compétence précités ».

L’institut étant déjà largement traversé par des questionnements sur les manières de démocratiser les sciences et donc les manières de faire science, c’est assez logiquement que des chercheuses, techniciens, ingénieurs, étudiantes et doctorants de l’INRAE de Rennes ont souhaité créer un espace pour interroger les liens entre sciences et société.

Sollicité dans ce cadre, le Kerfad a dû se remuer les méninges afin de faire une proposition intéressante pour l’INRAE. Et le remue-méninge se poursuit d’ailleurs ! En effet, nous ne sommes pas des spécialistes des « filières de valorisation des déchets organiques » comme les personnes que nous allions rencontrer. Nous n’avons aucune expertise en sciences dures. Mais nous avons en revanche des connaissances et expériences en sciences sociales et nous nous donnons comme mission de faciliter les liens entre acteurs sociaux au sens large (d’autres diront « citoyens ») d’une part et les travaux et acteurs de la recherche d’autre part. C’est dans cet état d’esprit que nous nous engageons en terrain méconnu, doté de nos techniques d’animation et de quelques ressources textuelles plus ou moins usitées dans nos espaces habituels de formation. Notre objectif : faire émerger les intérêts, les questionnements, les curiosités (en lien avec le thème science-société) des membres de l’équipe de l’INRAE. Notre principale porte d’entrée : la question des finalités des sciences et celle de la responsabilité de ses acteurs.

La rencontre a lieu le lundi 13 juin dans les locaux de l’INRAE à Beauregard (Rennes). Nous disposons de 2h30 d’atelier pour provoquer quelques échanges afin d’estimer dans un second temps ce à quoi nous voudrions – INRAE et Kerfad conjointement – dédier davantage de temps. Tout d’abord, il nous a semblé judicieux d’enfoncer une porte ouverte : les personnes présentes, toutes impliquées à l’INRAE, ne se réduisent pas à leur qualité de scientifique, elles ont une vie et des engagements sociaux, associatifs, politiques. Avant que d’envisager la place du « citoyen lamba » dans les processus de recherche, nous voulions faire exister les « chercheurs » dans les processus démocratiques. Ensuite, et toujours avant de chercher à interroger les enjeux du lien entre sciences et société, nous voulions savoir quels étaient ces enjeux selon les membres de l’équipe de l’INRAE. Les idées ne manquèrent pas ! Pêle-mêle ont été évoqués des questionnements portant sur :

  • les processus descendants ou ascendants qui relie la société et la recherche. Qui définit les objets de recherche, formule les questions, définit les priorités, et sur la base de quelle logique ?
  • l’engagement des chercheurs et leur devoir de « neutralité ». Peut-on être militant dans son travail de recherche ? À quelles réserves ou (auto)censure doit-on se contraindre ?
  • le potentiel d’inspiration et de connaissances qui réside dans les initiatives citoyennes.
  • les représentations de la sciences et des scientifiques, la place qui leur est réservée dans la société et dans le débat public. Comment rendre lisibles, accessibles des travaux complexes ? Peut-on vulgariser sans déformer ? Jusqu’où doit-on adapter un propos pour le rendre audible ?
  • l’utilité de la science. La science doit-elle répondre aux besoins d’un terrain, à des commandes (publiques ou privées), ou doit-elle s’évertuer à produire de la connaissance de manière indépendante ?
  • la médiation scientifique. Existe-t-il des espaces intermédiaires, des acteurs qui peuvent faire tiers entre acteurs de la société et acteurs de la science ?
  • la spécificité scientifique, à savoir la rigueur méthodologique, la complexité et la nuance, souvent malaisante pour des acteurs de la société en quête d’informations univoques et d’opinions tranchées.
  • la distance symbolique qui sépare les travaux de recherche de la société. Est-ce une affaire de codes, de langue, de statut social ? Peut-on diffuser plus largement des travaux scientifiques sans s’attaquer à cette frontière symbolique ?
  • la séparation (historique ? politique ?) faite entre l’action et la recherche. En quoi l’action peut-être source ou maillon de la recherche ? En quoi la recherche est une forme d’action sociétale ?

Bien sûr cette liste n’est pas exhaustive et nombreux sont les ponts que l’on pourrait bâtir entre ses différents éléments. Pour ne pas repartir sans que le Kerfad ait donné lui aussi un peu de grain à moudre (et pour se reposer après un long moment en grand groupe), nous avons dédié la dernière heure à la lecture de textes, seuls ou en petits groupes, laissant libres les discussions qui s’en suivirent. Parmi les textes mis à disposition, l’appel à déserter des étudiants diplômés de l’AgroParisTech, une typologie des recherches dites partenariales selon le sociologue Yves Bonny, un extrait de Le Savant et le Politique de Max Weber à propos d’éthiques, une lettre de Pierre Bourdieu à propos de neutralité axiologique et d’engagement dans la science. Ce qui se raconte dans les petits groupes de discussion, nous ne le savons pas très bien, mais nous voyons que ça s’anime, que ça cherche des passages dans les textes, que ça rigole, que ça fatigue aussi.

Le terme de cette rencontre approche, nous avons tout juste le temps de demander un mot de retour à chacun.e et nous voilà à nouveau face à nous-mêmes, le cerveau en ébullition. Affaire à suivre nous l’espérons. À nous d’entretenir un dialogue avec l’INRAE dont l’intérêt et l’implication nous stimulent. Et au plaisir peut-être de creuser quelques pistes ensemble, de cheminer entre action et recherche, d’épaissir la lisière où se rencontrent sciences et société !

Avec quoi on accompagne ?

Cet article est une réflexion toujours en cours sur les conditions et les limites de l’accompagnement. Elle émerge suite à un micro-événement de la vie du Kerfad, à savoir un accompagnement qui a été avorté avant d’avoir débuté. Ainsi l’article reprend quelques faits de ce non événement, non pas pour en penser quelque chose, se faire un avis dessus, mais pour penser avec, se faire un avis sur l’accompagnement armé de cette expérience.

Parmi la vingtaine de membres d’une association, trois formulent une demande d’accompagnement au Kerfad et prennent le temps de nous rencontrer. La rencontre, comme son nom l’indique, permet de mettre des visages sur les noms, de prendre confiance (ou pas) dans les personnes en présence. Celle-ci se passe bien, l’intérêt circule dans les deux sens, à l’issue de cette première entrevue le ressenti collectif est je crois qu’un accompagnement est possible. Reste à trouver les modalités les plus judicieuses. Le Kerfad s’y attèle et fait une proposition aussi concrète que possible afin qu’elle puisse être discutée entre les membres de l’association demandeuse. Lorsque l’association reprend contact avec le Kerfad, c’est pour nous informer que l’accompagnement ne pourra pas se faire, une personne de l’association s’y oppose. Soit. Le Kerfad n’a rien à redire à cela, et même si individuellement nous devons faire avec notre déception / frustration, trop d’éléments de la situation nous échappent pour que nous puissions agir dessus.

Pourtant, des questions tourbillonnent, nous cherchons à comprendre ce qui s’est passé, nous nous sentons vulnérables, dépossédés, quelque chose échappe manifestement à notre maîtrise. Avons-nous été jugés incompétents ? Y avait-t-il une méfiance préalable ? Est-ce le Kerfad qui pose problème ou les personnes qui sont venues en son nom ? L’abandon de l’accompagnement est-il motivé par la rencontre, la proposition faite par le Kerfad, ou est-il motivé par quelque chose d’antécédent ? Toutes ces questions et d’autres encore resteront évidemment sans réponse.

Il n’y a pas si longtemps de ça, le Kerfad était lui aussi accompagné, dans le cadre d’un DLA. Quels furent nos critères pour choisir un « consultant » plutôt qu’un autre ? Quels furent nos motifs de refus ? En somme, par quoi voulions nous être accompagnés, avec quoi voulions nous cheminer ? Il me semble que nous avons été sensibles aux méthodes proposées pour l’accompagnement, mais que ce ne fut pas l’élément déterminent. Sans chercher à se faire accompagner par des « camarades politiques » nous avons été vigilants à ce que la personne qui nous accompagne comprennent notre vision de la société et notre projet associatif, le sens de nos actions. Étonnamment, nous avons surtout été sensible à la personne : à ce qu’on préjugeait d’elle, à ce que son parcours nous racontait de ses compétences et de ses principes, a sa position relative vis-à-vis du Kerfad, proche mais bien distincte, extérieure. Et puis il y a toujours cette intuition, ce feeling, qu’on arrive pas expliquer.

Cette expérience d’accompagnement avorté m’oblige à accepter qu’en tant qu’accompagnant, on ne choisit pas complètement avec quoi on va accompagner. Bien sûr on fait des choix, méthodologiques, éthiques, politiques, pédagogiques et ceux-ci on l’avantage de pouvoir être discuté facilement. Mais on ne peut pas toujours choisir de laisser au vestiaire son histoire, ses liens, sa position dans la société ou sur un territoire. On pourra travailler le sens de l’accompagnement, l’engagement réciproque dans la relation accompagnant-accompagné, rester vigilant à ce qui se joue sur les plans affectif et symbolique. On pourra tenter d’amenuiser certains facteurs de gêne ou d’inconfiance, mais pas les supprimer totalement. Et aussi bien huilée que puisse être la mécanique d’un accompagnement, l’accompagnant n’a aucun pouvoir tant qu’il n’a pas été reconnu et accepté comme tel. Petit rappel d’humilité donc . Et peut-être aussi une invitation à considérer chaque expérience de vie, au Kerfad et à l’extérieur, comme une potentielle situation de pré-accompagnement ?

Article écrit par Yoann

Recherche de locaux

Depuis le début de l’année 2021, le Kerfad n’a plus à sa disposition que de petits locaux lui permettant de stocker son matériel pédagogique, ses archives, sa bibliothèque-librairie et de faire une réunion de temps en temps. Situés à Saint-Germain-sur-Ille, non loin de sa précédente adresse, ces locaux ne nous semblent pas appropriés pour l’usage que nous voudrions en avoir. En effet, du fait de la localisation géographique des membres les plus actifs, l’emplacement de ces locaux n’est pas du tout central. Nous souhaitons en outre installer le Kerfad dans un espace pérenne, afin que ses locaux puissent à la fois servir de lieu de travail et de réunion, de centre de ressources et de lieu de convivialité et de rencontre.

Mais comment trouver un tel espace ? Nous avons exploré plusieurs pistes. Nous avons d’abord été tenté d’accepter un local à disposition d’associations rennaises, mais ne nous donnant pas comme mission principale de proposer des activités à destination d’habitants d’un quartier, nous avons trouvé peu pertinent de nous installer au rez-de-chaussée d’un immeuble villejeannais. Nous avons ensuite tenté de prendre part à un projet de lieu inter-associatif en cours d’élaboration, mais il s’est avéré que le projet était déjà bien verrouillé et que la formation et l’accompagnement ne faisait pas suffisamment sens pour les porteurs du projet. Néanmoins encouragés à penser des locaux en lien avec d’autres structures, nous nous sommes rapproché d’associations et avons ouverts nos imaginaires : pourquoi pas des locaux partagés, pourquoi pas des associations diverses et complémentaires par leurs activités, pourquoi pas des moyens mutualisés (comme l’éternelle photocopieuse ou la cafetière toujours trop pleine) ? Nous nous sommes même impliqués dans un projet de reprise d’un café de centre-bourg rural, avec une association bien installée dans la région et quelques habitants, avec la belle idée d’en faire un lieu multi-activité, un lieu inter-associatif qui viendrait répondre à des besoins d’associations existantes mais aussi aux souhaits et besoins des habitants et acteurs du territoire. Ce dernier projet fut lui aussi sans issue, la mairie ayant préféré faire appel à un commerçant plutôt que de tenter une nouvelle aventure.

Faute d’avoir trouvé – pour l’instant – chaussure à son pied, le Kerfad s’invente une manière plus nomade de fonctionner. Les locaux à Saint-Germain-sur-Ille demeurent, mais le courrier nous parvient à la Maison des Associations de Rennes, où il nous arrivent parfois de nous réunir et de mener des actions. Nos réunions de travail se font chez les unes ou chez les autres, dans des locaux prêtés par des associations alliées, en terrasse d’un café. Nos ateliers et formations font de l’itinérance d’une ville à une autre, de l’Hôtel Pasteur (Rennes) à la Bigotière (Épiniac) en passant par la ferme pédagogique de Trémargat.

Nos désirs de locaux – partagés – n’ont pas disparus pour autant, ils patientent un peu, le temps que les situations des membres se stabilisent, le temps qu’une opportunité se présente, le temps que. Affaire à suivre donc. D’ici là, il va falloir réviser sa géographie pour suivre le Kerfad !

Rencontres du monde du spectacle vivant avec la Guinguette en cavale

La Guinguette en Cavale est un collectif-association réunissant des individus et des collectifs engagés dans et pour le spectacle vivant. Ensemble, ils proposent des événements artistiques alliant musique, théâtre et jonglerie, mais leur particularité est ailleurs… En proposant des événements en lien avec des paysans et sur leurs terrains, c’est tout un art de vivre et de s’organiser qui s’expose et invite au questionnement. Démonstration agriculturelle, solidarités, et joies du bricolage envahissent les champs, y installent leur convivialité.

Parmi les membres de la Guinguette en Cavale on trouve des artistes clowns ou musiciens, des administratrices de compagnie, des monteurs de chapiteau, des saltimbanques qui vivent plus ou moins bien de leur métier. Mais tous en ont commun d’interroger leurs pratiques : le rôle de la culture et ses enjeux de classe, les modes d’organisation, les leviers et les freins au spectacle vivant, les manières d’investir la rue (en ville et en ruralité), les perspectives de réseau ou de mutualisation, les rapports aux publics et plus largement à la société, etc.

C’est animée de ce bouillonnement réflexif et inquiet de constater l’isolement ou le repli des professionnels du spectacle provoqués par (le début de) la crise Covid, que la Guinguette en Cavale décide d’organiser un week-end de réflexion pour 30 à 50 personnes. Evoluant tout proche d’associations d’éducation populaire, le collectif organisateur invitera rapidement le Kerfad à participer à la préparation de ce week-end.

Après quelques réunions pour élucider les objectifs du week-end et les questionnements incontournables des organisateurs, ceux-ci, accompagnés par le Kerfad, ont élaboré un programme. Pendant cette élaboration de programme, les questions de pédagogie sont venues remplacer les habituelles questions techniques et logistiques : quel rythme pour la journée, quel mode d’inscription, quelle type d’animation, intervenant ou support… ? Nous obligeant parfois à faire preuve d’imagination, comme ce fut le cas lorsque l’idée émerge d’aller chercher les récits d’éducateurs de rue pour aller interroger les manières d’entrer en relation avec les publics. Nous obligeant parfois à nous rendre à des évidences que l’on ne voulait pas voir, comme ce fut le cas lorsque qu’une membre organisatrice s’est résignée à intervenir elle-même sur des aspects juridiques, réalisant qu’il n’y avait pas beaucoup de personnes plus compétentes dans les environs.

Dans le rush de la dernière ligne droite, il n’est pas rare que chacun retourne à sa spécialité ; parce qu’indispensable, parce que plus confortable ? La préparation de ce week-end de réflexion n’aura pas fait exception. Alors que le collectif Guinguette en Cavale s’activait à organiser la cuisine, à redoubler la communication, à suivre les inscriptions, à s’approprier les lieux des rencontres, le Kerfad prenait au pied levé les dernières décisions portant sur le programme et l’animation des différents temps. Nous nous découvrons non seulement accompagnant du collectif organisateur mais aussi impliqués « jusqu’au cou » dans le déroulement du week-end. Et pourquoi pas, après tout la réalisation de ce week-end nous tenait aussi à cœur pour de multiples raisons !

Nous vivons ce week-end avec les organisateurs et les participants. La mise au travail est fulgurante, les rencontres s’étalent aux repas et à l’apéro, le mélange de manières de faire Guinguette-Kerfad détonne. Les réflexions se poursuivent le soir sur les tables de camping du Centre le Frémur à Lancieux, tandis qu’une boom essaye timidement de faire remuer les corps dans la salle principale.

Quelques jours plus tard, le week-end est terminé. Il ne fut sans doute pas parfait mais il a existé à une période ou les événements existent surtout sur le papier. Il fut riche intellectuellement, pratiquement et humainement ; sentiment d’avoir été traversés par une vague de joie, quelque part entre le réconfort, la confiance et l’espoir ; sentiment de s’être trouvé des complices, des pairs, des curieux à quelques encablures de chez soi qui restera la marque de ce week-end. Il est maintenant temps pour la Guinguette et le Kerfad de faire leur(s) bilan(s). Bilan du week-end pour les uns, bilan d’un accompagnement pour les autres ?

Découverte de l’entraînement mental à la Cimade

La Cimade est une association œuvrant en France pour l’accès et le respect des droits des personnes étrangères et/ou exilées. Porteuse d’une histoire de résistance de 80 ans, la Cimade se donne pour missions l’accompagnement de migrants en situations de mal-logement, de violence ou d’enfermement, la construction de solidarités internationales, la veille des politiques migratoires et l’information du public.

À la demande de plusieurs salariées, la Cimade organise une session de découverte de l’entraînement mental, faisant appel au Kerfad. Après plusieurs reports dus au Covid, le stage peut enfin avoir lieu. Il se déroule en octobre 2021 auprès de 13 salarié.e.s de l’association, il est animé conjointement par un membre du Kerfad et un membre du groupe Passeurs.

Sans chercher à revenir dans le détail sur cette semaine, ni à « évaluer » la formation, il fut important pour le Kerfad de revenir sur certaines difficultés rencontrées sur ce stage a priori ordinaire, trop peut-être. Dès l’amont de la formation, les échanges entre le Kerfad et la Cimade sont cordiaux, la confiance au rendez-vous, tout a l’air de « rouler comme sur des roulettes ». Ce sentiment suffit-il à se passer d’entretiens individuels préalables à a formation ?

Certaines stagiaires suivaient une autre formation, également organisée par la Cimade, quelques semaines plus tôt. Nous comprenons d’une part que les formations, en plus de susciter l’intérêt des salarié.e.s, sont une des manières qu’ils et elles ont trouvé de se rassembler autrement que par régions (et ces regroupements manquent après 1 an et demi de Covid). D’autre part, la formation est quelque chose de « normal » et « régulier » à la Cimade, certaines personnes ont l’habitude de certains rituels en formation, ont des attentes sur la forme.

Le stage ce déroule sur les horaires habituels de travail, dans des locaux de la Cimade (au siège) où plusieurs des stagiaires travaillent quotidiennement. Même si la venue au « nouveau » siège est une première pour certain.e.s, l’environnement de la formation est clairement estampillé Cimade : affichage, collègues dans les couloirs ou à la machine à café, réunion des représentants du personnel, etc. Alors que le stage entraînement mental est une invitation à faire un pas de côté pour regarder ses manières de penser, parler, faire, le contexte de la formation lui invite au contraire à s’installer confortablement dans ses habitudes.

Ce phénomène est décuplé par l’apparente (illusoire) homogénéité du groupe de stagiaires : tou.te.s membres de la Cimade, salarié.e.s, avec un grand nombre d’interconnaissances voire de relations régulières de travail, une grande majorité de femmes. En apparence seulement car d’une région à une autre, d’une mission à une autre, d’un poste à un autre, la culture « cimadienne » s’avèrent plurielles. En apparence seulement, car les personnes ne sont pas réductibles à leur travail, car les trajectoires biographiques en disent autant sinon plus sur les manières d’être et de faire que la culture professionnelle. En apparence seulement, car pudeurs, prudences et implicites d’un monde de travail viennent feutrer les échanges, gommer les singularités, arrondir les angles divergents et les avis tranchés.

Difficile de dire pour les formateurs l’effet que cette session entraînement mental aura eu sur les stagiaires (et encore moins ce qu’il en reste aujourd’hui). Était-ce une pause, un temps travail « au ralenti » puisqu’il fallait ralentir la pensée ? Était-ce la fosse aux lions, le nid de guêpes, le terrier ? Était-ce un espace-temps bien à soi, pour prendre des billes, prendre confiance, s’entraîner à penser de façon autonome ? Était-ce encore l’occasion d’une mise au point, d’une analyse des pratiques collectives ? Ou était-ce l’expérience douloureuse des ornières du quotidien desquelles on peine à sortir ?

Ce que nous savons en revanche c’est que cette expérience redouble notre volonté de créer des espaces de formation mixtes (mixité d’associations, mixité de statuts des personnes, mixité de genre et sociale, etc.), de proposer des espaces de formation en rupture, en décalage avec la vie quotidienne, de notamment favoriser les stages en internat, loin des lieux et des rythmes habituels de travail.